D. Guidi: L’islam des musées

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Titel
L’islam des musées. La mise en scène de l’islam dans les politiques culturelles françaises


Autor(en)
Guidi, Diletta
Erschienen
Zürich 2022: Seismo Verlag
Anzahl Seiten
372 S.
von
Guillaume Chatagny

L’islam des musées. La mise en scène de l’islam dans les politiques culturelles françaises est un livre signé Diletta Guidi, issu de sa recherche doctorale en lettres et science politique. Très accessible, cette monographie analyse la mise en scène de l’islam à travers les expositions de deux musées parisiens: d’une part, le Louvre – et plus spécifiquement son département des arts islamiques inauguré en 2012 – et, d’autre part, l’Institut du monde arabe (IMA) inauguré en 1987. L’analyse opère par un croisement de différentes données: des observations in situ et des photographies prises au cours de visite des expositions mais aussi des entretiens avec des responsables et des membres du personnel des deux musées.
En examinant le traitement de l’islam par les musées, D. Guidi s’intéresse au statut de l’Étatnation français, à ses politiques à l’égard de l’altérité islamique et son autodéfinition. La mise en scène muséale de l’islam, autrement dit la définition que les musées donnent à cette religion, résulte en effet d’une mutation dans la construction de la nation, un changement de la fonction étatique et du rapport de la France à l’altérité. C’est dire que l’analyse proposée fait se croiser une étude des pratiques muséographiques concrètes avec une réflexion approfondie en science politique, mettant en évidence les relations entre la muséographie privilégiée par chacune des institutions et des enjeux politiques en tant que les musées peuvent, dans une certaine mesure, être appréhendés comme des instruments de l’État.
L’ouvrage, dont l’introduction constate un engouement international pour «l’art islami¬que», examine en premier lieu cette catégorie discursive née au XIXe siècle. En constatant que la définition de l’art islamique reste floue, D. Guidi propose de regarder de plus près ce que les musées y mettent. Elle reconstitue alors l’histoire de cette catégorie en termes d’art, de collection d’objets et de discipline scientifique. Il apparaît que cet art et les institutions qui le constituent sont indissociables d’enjeux politiques empreints du rapport à l’altérité. C’est l’Occident qui, dès le XIXe siècle, trie progressivement, à travers ses pratiques muséographiques et collections, ce qui est digne d’être montré de l’autre. Et, par le même processus, l’Occident construit en retour sa propre identité. Enfin, l’ouvrage se concentre sur deux modèles de la mise en scène de l’islam relatifs à chacune des institutions approchées. Il s’agit, d’une part, du modèle «universaliste-assimilationniste», propre au Louvre, et, d’autre part, du modèle dit «interculturel inclusif», caractéristique de l’IMA.
D. Guidi propose au lecteur une visite-type des expositions de chacune des institutions; visite illustrée par des photographies ainsi que des plans permettant de visualiser le parcours comme la structuration des expositions. C’est en prenant en compte aussi bien la conception que l’histoire des deux collections, l’architecture et l’aménagement intérieur du département des arts islamiques et de l’IMA que l’examen de la place de la religion musulmane dans les expositions est effectué.
On peut dire qu’au Louvre, l’islam (avec une minuscule) fait place à l’Islam (majuscule). C’est davantage la culture et civilisation islamiques qui sont exposées selon des référents esthétiques et non le registre cultuel de l’islam. L’autrice relève encore une atmosphère orientalisante avant de remarquer que, suivant la politique du Louvre, l’islam est présenté au passé: aucun objet contemporain n’est exposé. Pour proposer une image alternative de l’islam à celle issue des débats et polémiques, le Louvre présente dès lors un islam au passé révolu n’ayant guère à voir avec l’islam contemporain. Il en résulte une lecture occidentalo-centrée: c’est l’Occident qui fait le choix des objets intégrés à l’exposition, faisant par-là entrer l’islam dans la culture mondiale en privilégiant l’esthétique au détriment des informations quant aux usages des artefacts présentés ou aux procédés de leur acquisition.
À l’inverse, à l’IMA, le culte musulman trouve sa place et la religion constitue le fil directeur dans la construction de l’exposition. Par ailleurs, l’islam se trouve inscrit dans la continuité avec le judaïsme et le christianisme. Quand bien même, le visiteur se trouve ici face à un islam idéalisé: si des pièces contemporaines sont présentées à l’Institut du monde arabe, les formes de l’islam contemporain correspondent surtout aux pratiques rattachées à la sphère privée et l’image du musulman est épurée de toutes les problématiques et controverses liées à cette religion.
D. Guidi s’efforce de réinscrire les politiques muséales dans les logiques macrosociologiques. À ce propos, l’IMA et même le Louvre, ce dernier représentant quelque peu l’image du musée «vieille France», sont des institutions marquées par de profonds changements concernant les politiques culturelles de l’État entraînant des répercussions sur le fonctionnement même des musées. Ils n’ont guère le choix que d’entrer dans la logique du «show», ils se trouvent mis en concurrence et doivent dégager des bénéfices. S’appuyant sur les théories du sociologue François Gauthier, l’autrice raccroche les politiques culturelles au phénomène de mutation de la fonction étatique, insistant sur le passage du «gouvernement» à la «gouvernance», donc d’un État-organisateur à un État dont la fonction est de réguler les actions entre différentes parties prenantes. Dans les années 1970, tandis que l’État a perdu le monopole de la gouvernementalité, il est devenu possible de concurrencer son autorité. Ce phénomène a touché la compréhension et l’application de la laïcité: un nouveau régime d’articulation de la relation entre l’État et les cultes a été instauré, établissant un passage de la laïcité de la séparation à celle de la reconnaissance.
Ayant distingué les deux modèles muséographiques – pour rappel, le modèle «universaliste-assimilationniste» pour le Louvre et le modèle «interculturel inclusif» pour l’IMA – l’autrice ne cède pas à une opposition duale, trop simpliste. Elle relève des dynamiques de changement au sein des deux institutions et de leur modèle respectif de traitement de l’islam. À ce titre, la création du département des arts islamiques du Louvre et son fonctionnement originel découlent tendanciellement d’une impulsion du haut vers le bas, c’est-à-dire que l’État semble l’instigateur du projet. Il est relevé que la laïcité muséale au département des arts islamiques a motivé une lecture culturelle, non religieuse voire antireligieuse des objets exposés. En mettant entre parenthèses la dimension religieuse, cette laïcité muséale «[...] est en accord avec l’esprit républicain, en quête d’un islam modéré auquel reconnaître une place au sein de la communauté nationale» (p. 320). Aussi, le modèle «universaliste-assimilationniste» vise-t-il à effacer les différences pour mettre en évidence les points communs, notamment au regard esthétique des Beaux-Arts. Toutefois, suite à un changement à la tête du département, une volonté de mieux intégrer les dimensions religieuses et contemporaines de l’islam au Louvre est née.
Au contraire, l’IMA a été créé selon le modèle de la gouvernance, c’est-à-dire avec une pluralité de parties prenantes que l’État régule, même s’il est remarqué que ce modèle n’a été véritablement opérationnel qu’à partir de la présidence de Jack Lang, personnalité politique ayant favorisé les New Public Management (les nouvelles politiques publiques) dans le secteur culturel français. Dans cette perspective, l’Institut du monde arabe présente un islam inscrit dans et compatible avec les dynamiques du marché global. Jouant davantage avec les limites de la laïcité à la française, ce musée «[...] réduit l’Arabe au musulman, et le musulman à sa religiosité, dont il propose finalement une version acceptable et cool» (p. 323). Ce type de mise en scène de l’islam rejoint par conséquent un souci propre à la laïcité de reconnaissance.
En conclusion, D. Guidi donne à son lecteur un aperçu, que l’on regrettera peut-être trop bref, de son musée imaginaire de l’islam. Celui-ci reprendrait les points positifs des deux expositions analysées et donnerait plus de visibilité à la période contemporaine. En outre, il reviendrait sur l’actualité de l’art islamique tout en ne taisant pas les débats qui touchent l’islam aujourd’hui. La religion musulmane serait alors bien présente dans l’exposition mais questionnée. Son musée aurait dès lors pour mission «de donner à voir l’autre, en rendant compte en même temps du regard qui l’expose et de la complexité de l’un comme de l’autre» (p. 344).
L’Islam des musées ne se contente pas de mots mais inclut également des photographies. Il n’est cependant pas proposé de réflexion approfondie sur la relation entre les images et le texte descriptif. Il faut ajouter que les photographies reproduites sont de taille réduite rendant difficile pour le lecteur de les détailler avec minutie. En fait, l’intérêt majeur de l’ouvrage porte sur l’apport d’une analyse micro à un sujet davantage macrosociologique, spécifiquement l’apport d’une analyse d’expositions à une réflexion sur la fonction de l’État, le passage du modèle du «gouvernement» à celui de la «gouvernance» et le rapport à l’altérité. Enfin, l’ouvrage de D. Guidi a cela d’original qu’il étudie la mise en forme de l’islam dans un domaine jusqu’à présent peu étudié, à savoir l’espace muséal.

Zitierweise:
Chatagny, Guillaume: Rezension zu: Guidi, Diletta: L’islam des musées. La mise en scène de l’islam dans les politiques culturelles françaises, Zürich 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 116, 2022, S. 493-495. Online: https://doi.org/10.24894/2673-3641.00127.